Atome d’antihydrogène

Les physiciens de l’expérience ALPHA du CERN à Genève viennent de réussir à piéger près de 300 atomes d’antihydrogène pendant 1000 secondes. Une prouesse scientifique et technique qui ouvre à la voie à l’étude approfondie de l’antimatière. Les détails et résultats de l’expérience ont été publiés en juin dans la revue Nature Physics.
Les atomes d’antihydrogène sont obtenus en faisant interagir un faisceau lent d’antiprotons avec un plasma de positons (antiparticule associée à l’électron) dans un piège magnétique.

Rappelons ici qu’à chaque particule de matière (ordinaire) correspond une antiparticule d’antimatière, c’est à dire une particule de même masse et de même spin mais de charge électrique opposée (d’autres nombres quantiques tels que les nombres leptonique et baryonique, la saveur… sont aussi de signe opposé). Lors de la rencontre entre une particule et son antiparticule, il y a annihilation : les deux particules disparaissent en émettant une quantité d’énergie correspondant à la somme de leur masse sous forme d’une paire de photons ou de particules élémentaires.
L’Univers né du Big Bang devrait contenir autant de matière que d’antimatière. L’une des grandes énigmes de la science moderne est l’asymétrie matière-antimatière : la nature semble avoir préféré la matière ! La comparaison entre l’atome d’hydrogène et son antiatome devrait apporter des éléments de réponse. On comprend donc l’importance des résultats obtenus par l’équipe ALPHA.

Deux pistes de travail sont déjà dans la tête des physiciens.
Le temps de confinement des antiatomes d’hydrogène est désormais assez long pour étudier leur déexcitation. Des mesures précises permettront de vérifier la symétrie CPT (charge – parité -temps). Cette symétrie fondamentale de la physique dit qu’il existe une image miroir de notre univers : un particule avançant à travers le temps dans notre univers ne peut pas être distinguée de son antiparticule reculant dans le temps dans l’univers miroir. La violation de la symétrie CP est une condition nécessaire pour expliquer l’asymétrie matière-antimatière. Dans ce cas, la symétrie T doit aussi être brisée de façon à préserver la symétrie CPT.
D’autres expériences audacieuses sont en préparation. Il s’agit de mesurer la structure interne (niveau d’énergie) de l’antiatomes d’hydrogène par spectroscopie laser ou microonde et de la comparer à la structure parfaitement connue (théoriquement et expérimentalement) de l’atome H. Une différence, même infime, dans le diagramme d’énergie de l’atome a-H remettrait sans doute en cause des pans entiers de la mécanique quantique et de la physique des particules.

A plus longue échéance, il faudra créer des antiatomes plus complexes et étudier finement leurs propriétés. Tout d’abord, on pourra s’intéresser aux isotopes de l’antihydrogène, c’est à dire a-D et a-T en ajoutant respectivement un et deux antineutrons(1) a-H. Par la suite, on peut rêver à la création de a-He, a-Li, a-Be… D’ailleurs, existe-t-il une limite ? Les antiatomes sont-ils réellement stables – comme le prévoit la théorie – s’ils n’interagissent pas avec de la matière ordinaire ?
Une autre point fondamental à sonder est l’influence de la force de gravitation sur l’antimatière. Là encore, il ne devrait pas y avoir de différence entre matière et antimatière.

(1) La manipulation d’un antineutron est délicate puisque ce dernier (comme le neutron) est électriquement neutre.

10 commentaires

  1. Cette nouvelle m’avait échappé, et c’est pourtant une avancée assez époustouflante de la science ! L’obtention d’antimatière est une chose, mais en produire une quantité pareille (certains diront que 300 atomes, ce n’est rien, mais pour des anti-atomes c’est énorme) et parvenir à la stabiliser aussi longtemps, c’est fantastique ! Car 1000 secondes, de la même manière, ce n’est pas grand chose dans l’absolu, mais de façon relative, et vu le caractère extrêmement instable de l’anti-matière, c’est simplement une éternité !

    Que de nouvelles perspectives… La production d’énergie, envisageable à long terme (voire très long), est un des axes, d’après moi, qui pourrait révolutionner le monde… Il faudra par contre bien sûr être attentif : une telle technologie, mise dans de mauvaises mains, comme l’énergie nucléaire par exemple, peut s’avérer catastrophique !

  2. Cet article vient d’être référencé sur le blog Scoop It !
    Cela fait toujours plaisir.
    Je vous invite d’ailleurs à aller faire un tour sur ce blog où l’on trouve de très nombreux sujets grâce à l’oeil toujours vigilant des internautes.
    C’est assez surprenant, mais j’écoutais samedi dernier sur BFM une émission dans laquelle l’invité était le patron de Scoop It. L’émission était dédiée à la curation (c’est vrai que le terme – qui vient en fait de l’anglais cure (remède) – ne rend pas très bien en français). Après les blogueurs, voici venu le temps des curateurs. Je donne ici la définition de Rohit Bhargava : Un “Content Curator” est quelqu’un qui continuellement trouve, regroupe, organise et partage le contenu en ligne le meilleur et le plus pertinent sur un sujet spécifique. Il s’agit donc plus ou moins de création par des humains et non des algorithmes de base de données. Il semblerait que se soit un marché prometteur car la croissance exponentielle des données disponibles rend le tri et la mise en forme indispensable.

  3. La production d’énergie, source inépuisable de recherche.
    Mais quelle quantité d’énergie a-t-il fallu pour créer, utiliser, analyser ces 300 anti-atomes ?
    L’énergie créée par la rencontre d’un atome et d’un anti-atome (2 photons) correspond à quoi, en termes plus conventionnels ?
    Cette énergie peut-elle être récupérer ?
    On est sur quelle rentabilité ou plutôt pourrions-nous être ?
    Quels sont les risques ?
    Je comprends bien que cette expérience n’a pas pour but de trouver une nouvelle source d’énergie, mais bien d’étudier les caractéristiques profondes de notre univers, mais pourquoi pas l’envisager ? Si ce n’est déjà fait.

  4. On peut en effet envisager à très long terme le stockage d’énergie sous forme d’antimatière. L’énergie est alors restituée lors du processus d’annihilation. Pour ce faire, il faut récupérer les photons gamma émis. Le rendement peut-être très bon à ces longueurs d’onde.
    Bien sûr, comme tu le soulignes Alex, le rendement du processus dans son ensemble dépend du coût énergétique de la formation et du confinement de l’antimatière. Ce coût est aujourd’hui astronomique. Pour que ce processus deviennent intéressant, il faut par exemple diminuer la taille des accélérateurs de particules (c’est possible avec des laser à impulsions ultra-brèves) et simplifier la génération de champs magnétiques intenses (nécessité de disposer de matériaux supraconducteurs à haute température critique, si possible supérieure à la température ambiante).
    L’intérêt est ailleurs. Si l’on peut stocker sur une très longue période l’antimatière alors on dispose d’un réservoir d’énergie. Cela pourrait être intéressant pour les missions spatiales d’exploration. Mais nous en sommes très loin. Avant cela, il y a la fission nucléaire et la fusion nucléaire.

  5. Bonjour Stéphane!

    En lisant ton entrée, il y a une myriade de questions physiques et métaphysiques qui fusillent mon esprit…
    Si il existe un univers miroir où règne l’antimatière, se servir de cet antimatière comme source d’énergie ne nécessite pas de réécrire les principes de la thermodynamique?
    Cet antimatière ne se trouve pas dans notre matérialisation de l’univers en temps normal, mais dans une version ( – ) de la même réalité, et la faire apparaître nécessite sûrement une sorte d’échange sous forme d’énergie entre les deux univers miroirs , non?
    Qu’obtient-on si l’on fait le bilan total des transferts d’énergie pour « fabriquer » de cette antimatière?

    Lors de l’annihilation, l’énergie des photons émis vaut-elle exactement la somme des énergies des deux particules?

  6. Bonjour Benoit.
    En effet, l’Univers miroir cité est une vision théorique. D’après les observations, il n’y a pas d’antimatière dans l’Univers visible et connu. Cela pose, comme je l’écris, une question fondamentale : pourquoi un monde fait de matière plutôt que d’antimatière ? On cherche aujourd’hui une brisure de symétrie dans le royaume des particules élémentaires qui pourrait expliquer une accumulation de matière dans les tous premiers instants après le Big Bang (à supposer qu’il y ait bien un t = 0) lors de la phase d’expansion rapide et de refroidissement (il faut pour cela que certaines réactions ne soient pas équivalente en sens direct et indirect). Il existe bien sûr une autre possibilité : parmi tous les Univers possibles, nous vivons dans un exemplaire fait uniquement de matière (cependant de l’antimatière peut y être créer à partir des fluctuations quantiques du vide). Il n’y aurait donc pas de brisure de symétrie.
    La production d’énergie à partir de l’annihilation matière-antimatière ne viole aucun principe de la Physique. L’énergie est naturellement conservée, donc les photons émis emportent avec eux l’équivalent de l’énergie des deux particules (d’où leur très courte longueur d’onde).
    En ce qui concerne le bilan d’énergie, je ne dispose pas de chiffres. Mais il est clair qu’à l’heure actuelle, le bilan est très défavorable.

  7. Merci de ta réponse!

    Si j’ai bien compris, cette antimatière pose le problème d’une brisure de symétrie d’un système à l’équilibre avant un instant t=0 ?

    Notre univers entier ne pourrait pas être une projection d’un état possible, à l’instar des états quantiques accessibles à un atome? Tant qu’aucun choix n’a à être fait il y a superposition, puis lorsque le système évolue vers une contrainte il doit « prendre » un chemin ou un autre, mais alors qu’advient-il de tous les autres chemins possibles? Dans le cas de notre univers, si on admet qu’il est une projection possible d’un choix sur une réalité, un univers « parallèle » existerai à chaque fois qu’il y a projection, choix, mesure ?

    L’antimatière en tant que construct d’un univers miroir ne serait alors qu’une autre représentation (anti)matérielle de la réalité?

    Sais-tu comment ils font pour contenir cette antimatière? Je suppose qu’on doit baigner les atomes dans un champ magnétique très puissant pour éviter tout contact avec de la matière…

    Je trouve ça complètement fascinant!

  8. Il faut imaginer que cette brisure de symétrie existe dans la matrice fondamentale à l’instant zéro.

    Ton hypothèse d’états multiples est réaliste et même mathématiquement valide. Elle a été émise et démontrée par le physicien américain H. Everett.
    Il a donné une vision particulière de la fonction d’onde de la mécanique quantique : cette dernière représente l’entière réalité. A chaque collapse de la fonction d’onde, toute les solutions (états quantiques) coexistent et donnent naissance à des univers parallèles distincts. Il y aurait donc une infinité d’univers parallèle. Mais nous aurions conscience d’un seul d’entre-eux.
    On est bien sûr en droit de se demander si ces univers parallèles peuvent communiquer entre-eux.
    Avec la théorie d’Everett, il faut garder à l’esprit que l’ensemble des univers possibles dépend des conditions initiales. Cela ne résout pas le problème de l’existence de l’antimatière.

    Il y a un autre paradigme, celui des multivers, qui dit que tous les univers possibles existent. On vivrait dans l’un d’entre-eux dont les propriétés permettent l’émergence de molécules organiques. Et cet univers ne contiendrait tout simplement pas d’antimatière.

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