Faut-il faire aveuglement confiance aux agents immobiliers ?

La réponse la plus fréquente aux comptoirs de nos bistrots est « Non ». Et bien c’est à la fois vrai, et faux. Tout dépend de quel côté on se place…

Prenons un exemple précis qui va nous permettre de bien comprendre les mécanismes en jeu lors d’un acte d’achat ou de vente. Imaginons un bien immobilier, disons une maison, estimée à 250000 €. Bien sûr, le propriétaire-vendeur espère vendre son bien plus cher afin d’augmenter ses gains. Doit-il alors en confier la vente à un agent immobilier ? Ou bien est-il préférable qu’il consacre une partie de son temps à la recherche d’un acheteur prêt « à payer le prix fort » ?
On peut reformuler la question ainsi. L’agent immobilier a-t-il intérêt à dépenser beaucoup d’énergie pour vendre la maison à un prix supérieur à celui du marché ? La réponse peut sembler évidente, mais il n’en est rien. Pour comprendre, supposons que le vendeur espère céder son bien à 270000 €. Le gain net (par rapport au prix de base) serait alors d’environ 15000 € après paiement des taxes, des frais notariés et des frais d’agence. Une jolie somme qui vaut que l’on y consacre du temps et de l’énergie. Mais qu’en est-il de l’agent immobilier. En moyenne, ce dernier fait un bénéfice net de 1%, ce qui représente ici… 200 € ! On comprend tout de suite que le gain est peu motivant pour notre agent. Il y a donc peu de chance qu’il fasse beaucoup d’efforts pour vendre la maison au dessus du prix estimé. Autrement dit, le vendeur n’a pas à espérer grand chose de son agent, si ce n’est qu’il lui simplifie la tâche. D’où le « Non » souvent entendu.

C’est à cette conclusion qu’arrivent l’économiste américain S. D. Levitt et son compatriote journaliste S. J. Dubner dans leur ouvrage intitulé Freakonomics en employant un raisonnement similaire. Levitt montre d’ailleurs, statistiques officielles à l’appui, qu’un agent immobilier vend son bien propre à un prix supérieur à un bien comparable qu’il ne possède pas mais dont il a la charge.
Je vous recommande grandement la lecture de cet essai. C’est certes un traité d’économie mais avec un angle d’attaque que je ne connaissais pas (c’est ce qui a valu d’ailleurs à S.D. Levitt, professeur à l’Université de Chicago, d’être le récipiendaire de la médaille John Clark). Levitt a en effet choisi de regarder l’économie et plus généralement notre société à travers le prisme de la motivation et de l’intérêt (incentive en américain). Le résultat est brillant, drôle et surprenant. Si vous mettez le nez dans cet ouvrage, vous ne le lâcherez pas avant d’avoir atteint la dernière page. Et une fois le livre reposé, votre regard sur le monde sera sans doute modifié.

Revenons à notre agent-immobilier et essayons d’aller plus loin.
Plaçons-nous cette fois-ci du côté d’un acheteur qui a trouvé une maison à vendre à 250000 €. Peut-il espérer l’acheter pour seulement 230000 €, soit un gain non négligeable de 8% ? Oui, me semble-t-il, surtout s’il fait appel à un agent immobilier. Celui-ci est certainement prêt à perdre 100 € sur la vente, soit quasiment rien, si le bien part vite. Il pourra alors se consacrer à la vente suivante (en ayant au passage amélioré ses statistiques). D’où le « Oui » rarement entendu.

Cette analyse simple – mais non simpliste – nous montre que la réponse à la question posée dans le titre du billet dépend du point d’observation. Pour reprendre l’idée de Levitt, le vendeur et l’agent n’ont pas la même motivation. Le premier a une motivation « économique » : il faut vendre au prix le plus élevé pour augmenter le gain. Quant au deuxième, il a une motivation que je qualifierais de « temporelle » : il faut vendre le plus vite possible, même en dessous du prix du marché. L’incompatibilité des deux intérêts instantanés (l’intérêt à long terme est le même) fait qu’il est sans doute préférable de s’occuper soi-même de la vente de la maison.
On comprend également pourquoi un acheteur peut espérer une bonne remise au détriment du vendeur : il satisfait ainsi à l’intérêt de l’agent.

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