Le lanceur européen Ariane et sa privatisation via l’entreprise ASL, voilà un sujet de conversation qui revient souvent dans l’équipe. Ce sujet a naturellement animé nos pauses en ce début d’année 2016, après la récupération le 21 décembre dernier du premier étage d’une fusée Falcon 9 de la société Space X. Une prouesse technique qui marquera le domaine de la conquête spatial. Cet étage est d’ailleurs destiné à finir ses jours dans un musée.
La société du milliardaire Elon Musk a annoncé vendredi qu’elle venait de tester le ré-allumage au sol de l’étage récupéré. Tous les acteurs de l’astronautique et tous les amateurs attendaient cette étape avec impatience. Et ce fût un succès (lire par exemple l’article de SpaceNews). Un très bel exploit qui couronne un travail acharné et une volonté à toute épreuve mais qui ne fait pas plaisir à tout le monde, loin de là.
Le prochain lanceur européen sera Ariane 6, dont la livraison est prévue vers 2020. Il s’agit entre autres de répondre à l’offre de Space X et des autres concurrents en développant un lanceur plus léger et mieux adapté qu’Ariane 5 aux futures générations de satellites. Ces derniers temps on a pu lire dans la presse, spécialisée et non (je vous recommande en particulier l’article paru sur le site de l’IVERIS), de très nombreux articles qui remettent en cause le modèle choisi pour Ariane 6 avec deux critiques majeures : la privatisation, qui de fait met l’ESA et les états européens à l’écart, et le double jeu d’Airbus D&S qui se retrouve fabricant de satellites et de lanceurs. Il faudra également voir comment fonctionne l’association entre ASL et Arianespace, la société française chargée de la commercialisation des lanceurs de l’ESA, Ariane et Vega. La privatisation était à mes yeux nécessaire pour garantir une réponse rapide, et j’espère efficace, face à la montée en puissance des américains, indiens, japonais, coréens et chinois. Quant à la position d’ADS, l’avenir nous dira si les clients sont réticents ou non.
Mais avec le double succès de Space X, une autre question se pose désormais. Ariane 6 est-elle déjà dépassée, alors même qu’elle n’a pas encore vu le jour ? Autrement dit, l’avenir des lanceurs passera-t-il pas la réutilisation des composants. La réponse est complexe et il reste beaucoup de chemin à parcourir, même pour Space X qui a certes plusieurs longueurs d’avance. Le modèle économique est-il viable ? Rien n’est certain et l’échec, sur ce point là, de la navette américaine doit faire réfléchir. On gagne d’un côté avec l’utilisation des mêmes composants pour plusieurs lancements mais on perd de l’autre car on produit moins de composants. De plus il faut en parallèle augmenter le degré de fiabilité et minimiser la maintenance. Si les lanceurs réutilisables demeurent un doux rêve, Space X restera dans l’histoire, et Ariane 6 fera son chemin. Si, au contraire, il s’agit de la voie du futur, l’Europe risque encore une fois d’arriver en retard et de faire payer la facture à ses contribuables. Au pire, la belle lignée des lanceurs Ariane pourrait s’éteindre.